Chez moi, elles sont fortes

Voici un article atypique car très influencé par l’actualité et notamment celle du 8 mars. Loin de moi d’ajouter à la polémique du bon sens ou de l’ineptie entourant les actions menées lors de cette journée de lutte pour les droits de la femme (et non cette « journée de la femme » comme j’ai pu entendre), mon approche est une réaction à un article d’un blog que je ne connaissais pas et sur lequel mon attention a été attirée.

La question posée est simple : est-ce que, en tant qu’auteur, je suis formaté, consciemment ou inconsciemment, à relayer l’hégémonie du patriarcat ? Je n’ai aucune réponse directe à formuler. L’objet de ce qui suit est de donner les clés à mon lectorat pour me situer dans le débat. Si ma prise de conscience de la légitimité des luttes féministes est relativement récente (3-4 ans à tout casser), j’écris depuis bien plus longtemps que ça pour le jeu de rôle et la littérature, j’ai donc, pendant des décennies (au moins 2, c’est « des »), été un interprète naïf de ce que la société m’a fourré dans le crâne. Voyons de quoi il retourne, sans concession aucune !

Soyons honnête : tout gamin je m’inventais des histoires et l’idée de la femme-princesse-au-foyer-prisonnière y était très présente. Très tôt pourtant, gavé de comics et de cinéma (des médias qui, à l’époque, n’était pas spécialement porteur du concept d’égalité des sexes), je trouvais séduisante l’idée de la femme forte. Plus tard, lors de mes premières lectures en fantasy (à commencer par Tolkien et Eddings) des personnages comme Eowyn ou Polgara s’opposaient et s’imposaient même face à une Cymoril de Moorcock ou une Flora de Zelazny. J’ai tout autant aimé et apprécié ces cycles mais l’impact sur mon inconscient n’a pas du tout été le même. Si, jusqu’à l’âge adulte, mes scénarios de jeux de rôle témoignent d’un manque flagrant de parité ils ne mettent en évidence aucune inégalité de rôle.

Mes premiers écrits souffrent sans conteste du même problème de parité avec, toutefois, une importance significative donnée à la présence d’héroïne. C’est à dire que, pour mes personnages principaux, j’ai toujours été attiré par l’idée de créer des personnages principaux féminins, qu’ils soient « gentils » ou « méchants », ce même si je déteste depuis très longtemps le manichéisme. Dans les romans que j’ai publié, je reconnais avoir cédé une fois à l’idée de la princesse en détresse, ce qui m’apparaît aujourd’hui seulement après avoir pris conscience de l’importance de ces valeurs. Et pourtant…

Pourtant, et même avant ma prise de conscience du combat des femmes, voici comment les choses se présentent :

  • La Cité des Mensonges : commencé en 2004, ce cycle en trois volumes, publié de 2006 à 2008, mets en scène 5 principaux personnages féminins. L’une est « gentille », une paladine redoutable au service des forces de l’ordre, mariée et mère de famille, qui vit une romance compliquée avec un ennemi public numéro 1. Elle résiste de façon volontaire aux charmes de ce personnage n’y cédant qu’en toute fin de cycle après avoir accepté tant les sentiments qui la taraudent que la justesse des intentions de ce hors-la-loi. Une autre, guerrière également, tombe amoureuse d’un autre hors-la-loi qui sera gracié pour avoir « sauvé le monde ». C’est une femme à la tête d’un service de sécurité aux ordres d’un mage de renom. La troisième est une prêtresse-guerrière au service d’un haut prêtre d’une religion atypique. Impitoyable avec ses ennemis, elle reste soumise totalement aux caprices de son supérieur avec qui elle entretient une relation amoureuse houleuse, que ce dernier finit par voir comme une faiblesse. Les deux autres sont des « méchantes ». L’une est le mal incarné sous la forme d’un démon succube métamorphe qui use de ses charmes et de sa persuasion pour infiltrer et contrôler certaines factions. La dernière n’est méchante que parce qu’elle appartient à un peuple opposé aux « gentils », héroïne chez les siens, combattante redoutable qui ne s’accomplit pleinement que dans la bataille.
  • Loreval : cadre de la saga de romans « La Cité des Mensonges » est également un univers de jeu de rôle. On y retrouve en PNJs les personnages sus-mentionnés et de nombreux autres personnages féminins à des postes clés. La société dépeinte y étant principalement patriarcale, les femmes hautes placées sont fortes de caractère et émancipées des principes patriarcaux, ne s’y soumettant que peu ou pas selon le cas. Les représentations physiques de ces femmes sont très loin du modèle chainmail-bikini. Même si elle ne sont jamais vraiment « moches », ce qui les habille (armures couvrantes et parfois complète pour les guerrières) ne les mettent pas en valeur. A noter toutefois que je n’insiste généralement pas beaucoup sur le physique dans mes descriptions. La seule perception de beauté qu’on peut en avoir ne vient que des autres personnages qui leur trouve un charme tout à fait subjectif.
  • L’Étau des Ténèbres : n’hésitons pas à parler de cette oeuvre qui, même si elle n’en est qu’au second tome publié, est entièrement écrite (finie en 2013) et donc déjà porteuse de toute la vision que l’on peut donner à la femme dans cet univers. La société des Humains n’est pas dépeinte comme patriarcale même si elle l’est. La société des Atarks est égalitaire même si soumise au modèle patriarcal des Humains au début du récit. Dans les deux races, des personnages féminins sont marquants et, encore une fois, même s’il n’existe pas de parité de représentation, le taux de personnages féminin principaux est plus élevé. J’en citerai au moins 6 qui, sur la totalité du récit, sont représentatifs de leur rôle : L’héroïne principale, militaire, guerrière et meneuse, en proie à de nombreuses incertitudes. Sa rivale qui, dans le même corps de métier, se pose beaucoup moins de question et n’est guidée que par obsession. Aucune des deux, au départ considérée comme séduisante par leur entourage, ne joue à aucun moment de ses charmes. La seconde a même tendance à se masculiniser à l’excès et évolue vers un portrait très différent, diamétralement opposé à la première qui, quant à elle, se féminise avec le temps. La troisième est une toute jeune femme, mage, fragilisée par la perte de sa mère et par sa nature qui en fait la cible de chasseurs de mage. Le récit lui donne le rôle de victime mais sa réplique, dans le tome 2, démontre à quel point elle peut être forte et volontaire. La quatrième fait son apparition dans le tome 2, une militaire et meneuse aussi, à cheval sur ses principes, faisant montre d’une droiture à toute épreuve malgré un passé volage. La cinquième et la sixième sont découvertes pleinement dans le tome 3, il m’est donc difficile de m’étendre dessus. Mais l’une est une fanatique religieuse atarke et l’autre une jeune rebelle qui se cherche. Si le tome 5 mets en scène un septième personnage, abordant cette fois le côté « sage et ancien » d’une vieille femme, il convient de retenir qu’aucun de mes personnages féminin n’est mis en avant par un quelconque côté sexualisé. Rétrospectivement, je dois admettre que c’est la première fois que je mets totalement de côté la notion même de sexe. J’y aborde des problèmes d’ordre sentimentaux et/ou familiaux mais pas de sexualité à part, du côté masculin, par quelques allusions sur le caractère malsain de certaines relations au travers des caractéristiques domjuanesques de l’un des protagonistes ou par les déviances sexuelles d’un autre.
  • Les Manuscrits de la Mémoire Morte : nous sommes là dans le milieu du jeu de rôle exclusivement. Je travaille sur cet univers depuis 2012, donc encore avant la « prise de conscience » susmentionnée. L’univers qui est dépeint dans cette création est particulièrement riche en terme de cultures. Toutes les bases n’ont pas été jetées en 2012 et de nombreuses cultures décrites dans ce jeu de rôle sont suffisamment récentes pour avoir été influencées par mon enrichissement personnel le plus récent. Cependant, d’emblée, les PNJs importants de ce monde atteignent approximativement la parité en terme de représentation (grande première) et pour des rôles très variés. Du reste, certaines cultures sont établies sur des bases égalitaires et d’autres, sur des bases matriarcales.
  • Autres créations : sur des travaux qui ne sont pas encore publiés et ne le seront peut-être jamais, comme mes différents scénarios, mes jeux et des écrits divers et variés, je reconnais volontiers que mon problème reste essentiellement celui de la parité. Je ne fais pas de concession sur le rôle, ne réservant pas exclusivement le masculin pour faire des enfoirés et des moches, ni le féminin pour faire du beau et des victimes. En revanche, je sais à présent qu’avec la conscience des débats entourant la place et le droit des femmes dans notre société, je n’écris plus de façon détachée. Autrement dit, ce que j’ai fais longuement sans m’en soucier, je le fais aujourd’hui en y réfléchissant.

Si je laisse mon lectorat seul juge de ce que j’évoque ici, il me semble important de préciser que ce que je suis transparaît de façon honnête dans mes écrits tant je n’ai jusqu’à ces dernières 3 ou 4 années jamais rien raconté avec l’intention de tenir cas de cette problématique de notre société. Je suis certes aujourd’hui moins naïf et plus ouvert consciemment au problème au point de pouvoir vraiment prendre position (et en l’occurrence, conchier sur le patriarcat, car, pour autant que je le sache, je suis féministe… Oui, je suis un homme féministe, ça existe ! ) sans pour autant me sentir prisonnier d’une manière de traiter mes écrits, qu’ils soient littéraires, rôlistiques ou autres, peut-être parce que je n’ai pas l’impression d’être sexiste dans mes œuvres, ou peut-être parce que je n’en ai pas conscience, qui peut vraiment en être sûr ? En tout cas, j’estime qu’il est de mon devoir, du fait que je suis publié et que j’en suis à présent conscient, de véhiculer une certaine égalité à défaut de la prôner. Je le précise car je n’écris pas d’oeuvre féministe, c’est à dire que mes œuvres ne prennent pas fait et cause pour le féminisme. Mes récits sont ce qu’ils sont, il dépeignent des cultures parfois inégalitaires, parfois non. Mes fictions ne sont pas au service d’une idéologie ou d’un mouvement, elles sont au service d’un récit, d’une intrigue, qui peut, parfois, apporter telle ou telle critique ou mettre en exergue des inégalités de toute nature, sans pour autant en être le point de départ d’une lutte.

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